Ordures ménagères: redevance ou taxe ?
Taxe ou redevance : au sein de la communauté de communes Pasquale Paoli, l’épineuse question du traitement des déchets déchire les élus
La communauté de communes Pasquale Paoli est la seule en Corse à préférer la redevance plutôt que la taxe pour la collecte des déchets ménagers. Un système qui n’est aujourd’hui plus efficient, selon plusieurs élus, qui pointent pour preuve le budget déficitaire de l’intercommunalité.
Il y a les combats qui se jouent sur les rings de boxe, et il y a ceux, plus discrets mais pas moins passionnés, qui se mènent par lettres interposées. Faute de « possibilité de dialogue ou de réunion« , c’est la voie qu’a choisi d’emprunter Pierre Olmeta, maire de Bisinchi, pour régler ses comptes avec la présidence de la communauté de communes Pasquale Paoli (CCPP).
Crée en janvier 2017, la CCPP réunit 42 communes. Si toutes comptent moins de 1.000 habitants, la population varie néanmoins du simple au presque centuple, quand le village d’Erone comptabilise 12 habitants (recensement de 2019), contre 981 à Morosaglia (recensement 2019), commune la plus densément peuplée.
L’administration est composée d’un conseil communautaire rassemblant 59 élus. À la tête de ce dernier, François Sargentini, conseiller municipal de Tralonca et élu en 2020. Ce dernier étant souffrant, la présidence est assurée depuis plusieurs mois par Catherine Cognetti, élue première vice-présidente. Objectif de l’intercommunalité : établir un tronc commun entre les diverses communes, et faciliter ainsi la gestion locale par le biais de compétences mises en commun.
Problème, à en croire Pierre Olmeta, la gestion de la communauté de communes fait face aujourd’hui à un grand nombre de griefs. Depuis plusieurs mois, les séances du conseil communautaire ont ainsi vu naître un groupe de maires « dissidents », qui se disent insatisfaits de la gestion actuelle de la CCPP. Au centre des critiques : la question du traitement des déchets.
Pour financer la collecte et le traitement des ordures ménagères, les communes disposent ainsi de deux possibilités : la taxe (TEOM), dont le montant est déterminé par la valeur locative cadastrale d’une propriété, ou la redevance (REOM), calculée par foyer sur la quantité de déchets enlevés. Dans la communauté des communes Pasquale Paoli, c’est cette seconde option qui a été préférée. Une exception en Corse : sur les 19 intercommunalités que compte l’île, la CCPP est la seule à avoir fait ce choix.
Au grand dam du maire de Bisinchi. « À partir du moment où tous les autres sont à la taxe, et nous encore à la redevance, on est quand même en droit de se poser des questions. Sommes-nous vraiment plus intelligents que tout le monde, ou serait-il temps de passer à autre chose ?« Le système de la REOM, rappelle l’édile, impose un budget à l’équilibre. Ce qui n’est à ce jour pas le cas pour la CCPP, largement déficitaire : le déficit pour 2021 est établi par la présidence à 429.000 euros.
À partir du moment où tous les autres sont à la taxe, et nous encore à la redevance, on est quand même en droit de se poser des questions.
Depuis 2017 et sa création, la communauté de communes dispose d’une dérogation accordée par le préfet de Haute-Corse, lui allouant un budget déséquilibré. Un sursis sur quatre années qui ne devrait pas être renouvelé pour 2022, et impose de fait une réaction urgente, au risque de voir la CCPP passer sous tutelle, alerte Pierre Olmeta. « La solution, c’est déjà mettre en place la taxe, tranche-t-il. Avec une taxe, on peut se permettre un déficit.«
Le calcul de la taxe assurerait également plus de rentrées d’argent, et réduirait de fait le déficit, estime le maire. « Moi je ne suis pas un fanatique de la taxe. Mais aujourd’hui, le choix semble tout tracé.«
Une taxe jugée inégalitaire
Dans son bureau du centre de formation des apprentis de Haute-Corse, à Furiani, Cathy Cognetti n’est pas de cet avis, bien au contraire. « Passer à la taxe, ça nous permettrait de conserver un déficit, mais ça ne nous assure pas l’équilibre. Il suffit de regarder les autres intercommunalités : elles sont à la taxe, mais elles ne sont pour autant pas forcément à l’équilibre.«
L’élue municipale à Morosaglia prend pour exemple la communauté de communes du Niolu, passée à la taxe. Le système se révèle y être, selon ses mots, « une aberration« . La faute à une absence de réévaluation des bases fiscales des habitations plus anciennes [alors que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères est déterminée sur la base de la valeur locative, ndlr].
« On peut avoir par exemple deux maisons identiques qui sont côte à côte, l’une réévaluée parce que refaite récemment, et l’autre pas. Résultat, la première va avoir 50 euros de taxes et la seconde 500. Ça n’a pas de sens. »
Autre exemple cité par la vice-présidente : celui d’un château, situé sur le village de Zalana (communauté de commune de l’Oriente), et dans lequel le propriétaire ne se rend « presque jamais« . « Comme il ne vient pas, il ne consomme aucun déchets, et pourtant il paye 500 euros de taxe d’ordures ménagères. Comparativement, la famille qui vit dans la maison juste à côté, elle, ne paie presque rien. C’est totalement inégalitaire.«
Douloureuse facture
Pour la présidente par intérim de la CCPP, la redevance, de par son calcul, est aujourd’hui le choix « le plus acceptable socialement pour la population« .
Le passage à un système de taxe, redoute-t-elle, impliquerait des hausses très conséquentes des coûts demandés par foyer, sur la base de calculs parfois peu cohérents, et en dehors des réalités du terrain. « On va avoir certains villages où les gens vont payer 60 euros de poubelle, et d’autres qui vont voir le montant passer d’un coup de 150 euros à 1200 euros par an« , cingle-t-elle.
Faux, répond Pierre Olmeta, pour qui la hausse serait progressive, « étalonnée sur plusieurs années« , et bien plus raisonnable. « Parler de plus de 1000 euros par foyer, ce n’est pas vrai. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que passer de la redevance à la taxe, pour les petites communes comme les miennes, cela ne changerait pas grand chose. Les habitants paieront peut-être 5, 10 euros de plus par an. Les communes qui seront les plus impactées, ce sont les plus grandes, qui comptabilisent le plus de résidences secondaires, c’est-à-dire Moltifao, Omessa, Morosaglia ou encore Castello-di-Rostino.«
Une disparité qui se justifie pour le maire de Bisinchi. « Que les grosses communes paient plus, c’est normal. Moi, à Bisinchi, je ne peux pas construire : j’ai la loi montagne, je n’ai pas d’espace constructible. Et on devrait payer aussi cher qu’eux ?«
Complémentarité et solidarité des communes
Là encore, ces arguments sont inaudibles pour Cathy Cognetti, pour qui il est question de « solidarité » entre toutes les communes.
« Les grandes communes et les petites communes ont un rôle complémentaire. Aujourd’hui, la plupart des commerces se trouvent sur l’axe routier que représente Omessa, la plaine de Moltifao, et Ponte-Leccia. C’est grâce à ces commerces et utilitaires-là que des personnes peuvent aussi vivre dans les plus petits villages. Si les prix des taxes s’envolent, et les gens décident de quitter ou de ne plus venir s’installer dans ces grandes communes – parce que des taxes d’ordures à 1200 euros par an, ce n’est pas incitatif pour s’installer, d’autant plus quand on parle de volonté de revitalisation du rural – qu’est-ce-qui va rester ? Cet axe routier, c’est le poumon économique de notre micro-région. Si vous le tuez, vous tuez tout le reste.«
La raison d’être de la communauté de communes, souffle la vice-présidente, c’est « la complémentarité et la mutualisation des moyens. Sans les uns, il n’y a pas les autres. Aujourd’hui, il y a une réalité qui est telle que personne n’ira construire un Super U à Bisinchi, ce n’est pas possible. Cette commune, comme d’autres, a besoin des plus peuplées comme Ponte-Leccia pour continuer à vivre. Il faut penser à l’ensemble plutôt qu’aux intérêts de chacun. Et il en est de même pour la redevance. »
Collecte des déchets lacunaire
Redevance ou taxe, le maire de Bisinchi dénonce plus généralement une collecte et un traitement des déchets sérieusement lacunaires. En cause, selon lui, une organisation administrative déficiente, voire inexistante. « Aujourd’hui, c’est simple, il n’y a pas de directeur général appointé pour gérer et organiser le personnel. Et on se retrouve avec des agents de collecte qui travaillent 3h par jour, soit même pas 20 par semaine, quand ils sont payés pour en faire 35.«
Des journées écourtées qui auraient selon lui des conséquences directes dans sa commune : des conteneurs sales et débordants, en raison de passages trop peu fréquents des camions à Bisinchi. Un problème exacerbé en été, où les congés des agents de collecte, « qui ne sont pas remplacés« , se combinent à un accroissement temporaire de la population. « À un moment donné, trop, c’est trop. Une communauté de communes, c’est une organisation où les communes adhèrent librement et sont censées en tirer un plus. Mais nous, à Bisinchi, nous n’avons que des moins : les encombrants ne passent pas, les poubelles ne passent pas, les agents ne travaillent pas… Les gens le disent : c’est quoi, dans tout ça, notre plus ?«
Des critiques balayées par Cathy Cognetti. « On a mis en place des outils qui nous permettent d’étudier le déroulé d’une journée des agents, avec un logiciel qui nous permet d’avoir le temps précis de roulage et de ce qui est fait. On a pu constater que des tournées vont parfois durer 4h plutôt que toute la journée. Mais il faut prendre en compte aussi la pénibilité du métier : on ne peut pas demander à des gens de ramasser les ordures pendant 7h, ce n’est pas possible. Donc ce que nous avons fait, c’est que ce volant d’heures qui n’est pas attribué aux déchets, nous l’avons attribué à d’autres travaux, comme des chantiers de démaquisage, par exemple.«
Dire que les employés de collecte ne travaillent pas, ou trop peu, « ce n’est pas vrai », insiste-t-elle.
« On a fait des efforts, on a augmenté les tournées, et on a mis en place des doubles équipages pour prendre toutes les sécurités possibles. Nous allons vers le mieux : le ramassage se fait régulièrement. Pour les encombrants, c’est un peu plus compliqué, parce que la personne en charge de ce point est partie à la retraite, et dans cette situation d’intérim, c’est un peu compliqué pour recruter. Mais les choses sont faites, et quand des élus nous contactent pour nous parler d’un problème, on le prend en compte et on tend à la résoudre avec eux.«
Le casse-tête budgétaire
Reste l’épineuse question du déficit de l’intercommunalité. Un souci pris très au sérieux par la présidence de la CCPP, assure Cathy Cognetti, qui invite à « repartir de la base » : « En 2017, avec la création de la CCPP et la fusion des différentes entités qui l’ont précédée, on partait avec un déficit de 700.403 euros. Déficit que nous avons depuis réduit, et que nous comptons continuer de réduire. En 2021, on a déjà une baisse de presque 300.000 euros. Et pour 2022, on prévoit un déficit à 293.000 euros.«
Pour décrocher le Graal de l’équilibre, la communauté de communes Pasquale Paoli s’appuie sur plusieurs méthodes, détaillées dans un courrier adressé au préfet de Haute-Corse, en novembre dernier.
L’augmentation de la redevance des particuliers, dans un premier temps : + 33 euros pour 2021, puis 17 euros supplémentaires en 2022, permettant un produit supplémentaire estimé par l’administration respectivement par année de 168.861 euros et 86.989 euros.
La hausse, également, de la redevance professionnelle en 2022, « pour un montant minimum de 30.000 euros« .
Autre solution pour réduire les dépenses globales, la remise en état des véhicules de la CCPP après remplacement : « Auparavant, quand un véhicule tombait en panne, on en louait, ce qui équivalait à 68.000 euros de location. Maintenant, quand il y a un changement de véhicule, on remet le plus ancien en état, comme ça, en cas de panne, c’est ce même camion qui peut prendre le relais.«
« On a aussi un départ à la retraite qui ne sera pas remplacé et qui représente 30.000 euros par an d’économisés, plus des petites mannes financières qui vont arriver, plein de petites choses qui vont se mettre en place« , abonde Cathy Cognetti.
Des efforts reconnus et salués par le préfet de Haute-Corse, assure-t-elle. « Si on travaille bien, je pense qu’on arrivera à descendre en dessous des 200.000 euros de déficit.«
En l’attente, le maire de Bisinchi glisse réfléchir à deux options, en l’absence de résolution de conflit : la première, quitter la CCPP pour rejoindre une autre communauté de communes plus en phase avec ses considérations gestionnaires et budgétaires. La seconde, tenter de briguer, lors d’une prochaine élection, un poste de vice-président, en se présentant aux côtés d’autres maires « dissidents ».
« Des pistes pour l’heure toujours au stade de réflexion », précise Pierre Olmeta dans un sourire.
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